Forfait jours, mode d’emploi

Actuellement, plus de 11 % des salariés relèvent d’un forfait jours. Mais si ce mode d’organisation du temps de travail est, depuis 15 ans, un gage de flexibilité pour l’entreprise, il obéit néanmoins à des règles strictes destinées à garantir le droit à la santé et au repos des salariés. Explications.

Qu’est-ce que le forfait jours ?

Le forfait jours est un aménagement particulier du temps de travail réservé aux salariés autonomes.

Alors que la durée du travail est généralement calculée sur une base horaire hebdomadaire, le forfait jours consiste à décompter le temps de travail des salariés sur la base d’un nombre de jours travaillés dans l’année (en principe, 218 jours maximum).


Précision : la rémunération des salariés est forfaitaire et indépendante des heures de travail réellement effectuées, le paiement d’heures supplémentaires étant donc exclu.

De ce fait, les salariés en forfait jours ne sont pas soumis :
– à la durée légale de travail fixée à 35 h hebdomadaires ;
– à la durée quotidienne maximale de travail de 10 h ;
– à la durée hebdomadaire maximale de travail (48 h par semaine, en principe).

Attention cependant, car ils doivent bénéficier des temps de repos quotidien et hebdomadaire minimaux, soit 11 h par jour et 35 h continues par semaine, ainsi que des jours fériés et des congés payés.


À savoir : le salarié peut, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de salaire d’au moins 10 %.

Compte tenu de sa spécificité, le forfait jours n’est pas applicable à tous les salariés. En effet, selon le Code du travail, seuls peuvent être concernés :
– les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auxquels ils sont intégrés ;
– et les salariés non cadres dont la durée de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des missions qui leur sont confiées (commerciaux, télétravailleurs…).


Commentaire : la Cour de cassation effectue un contrôle strict du degré d’autonomie dont disposent les salariés soumis au forfait jours. Ainsi a-t-elle estimé qu’un travailleur dont l’emploi du temps était déterminé par sa direction, laquelle définissait le planning de ses interventions auprès des clients, n’était pas autonome dans l’organisation de son emploi du temps et ne pouvait relever d’un forfait jours. Elle a retenu la même solution concernant un salarié qui n’était pas libre de choisir ses repos.

Comment le mettre en place ?

L’application du forfait jours dans l’entreprise nécessite la conclusion d’un accord collectif et le consentement du salarié concerné.

La possibilité de recourir au forfait jours doit être prévue par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Cet accord doit indiquer :
– les catégories de salariés susceptibles d’être soumis au forfait jours (avec, le cas échéant, la référence à un coefficient hiérarchique ou à une ancienneté minimale) ;
– le nombre de jours travaillés dans l’année (dans la limite de 218 jours) ;
– et les caractéristiques principales des conventions individuelles de forfait en jours signées avec les salariés.

De plus, le forfait jours ne peut être mis en place sans l’accord du salarié. Aussi l’employeur doit-il conclure par écrit, avec chaque salarié concerné, une convention individuelle de forfait en jours (clause ou avenant au contrat de travail). La convention individuelle doit préciser notamment le nombre de jours travaillés (dans la limite posée par l’accord collectif), la rémunération du salarié et les modalités de surveillance de sa charge de travail.


Attention : l’absence d’accord collectif ou de convention individuelle rend invalide le forfait jours et permet au salarié de réclamer le paiement des heures supplémentaires qu’il a effectuées.

Quelles sont les garanties pour le salarié ?

Le Code du travail et la Cour de cassation exigent que les accords relatifs au forfait jours prévoient des mesures suffisantes pour garantir le droit à la santé et au repos des salariés.

La loi impose à l’employeur d’organiser, avec chaque salarié en forfait jours, un entretien annuel portant sur :
– sa charge de travail ;
– l’organisation du travail dans l’entreprise ;
– l’articulation entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle et familiale ;
– sa rémunération.

Mais au-delà de cette obligation légale, la Cour de cassation exige bien d’autres garanties ! Ainsi, les accords collectifs relatifs au forfait jours doivent comporter des dispositions destinées à protéger la santé et la sécurité des salariés, c’est-à-dire à assurer « la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires », de même qu’une amplitude et une charge de travail « raisonnables » et une « bonne répartition, dans le temps, du travail » des salariés.

Concrètement, l’accord doit donc prévoir des modalités de contrôle et de suivi régulier du nombre de jours travaillés, des temps de repos et de la charge de travail du salarié.

Concernant l’amplitude de travail, l’accord peut par exemple prévoir des repos hebdomadaires ou quotidiens supérieurs à la durée légale. Il peut également mettre en place un document de contrôle tel qu’un relevé hebdomadaire ou mensuel des journées ou demi-journées travaillées établi par le salarié, puis remis à son supérieur hiérarchique, ce dernier étant alors en mesure de contrôler la charge de travail. Un système d’alerte par le salarié peut aussi être instauré, notamment en cas de surcharge de travail imprévue (nouvelle mission, arrivée d’un nouveau client, contraintes liées aux évolutions législatives et réglementaires…) pour que l’employeur y apporte une réponse en termes de charge et d’organisation du travail.

Mais l’accord peut également prévoir d’autres mesures, telles que la fermeture des locaux de l’entreprise ou le blocage de la messagerie professionnelle sur certaines plages horaires ainsi que durant le week-end (convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, dite « Syntec »), ou bien encore le droit pour les salariés de « ne pas répondre aux éventuelles sollicitations de toute provenance » durant leurs périodes de congé (convention collective nationale des cabinets d’experts-comptables et de commissaires aux comptes).

Quelles sont les conséquences de l’invalidation du forfait jours ?

Lorsque la Cour de cassation invalide les dispositions relatives au forfait jours, les salariés peuvent prétendre au paiement des heures supplémentaires qu’ils ont effectuées.

La Cour de cassation contrôle strictement les accords collectifs relatifs aux forfaits jours. Elle a, de ce fait, invalidé bon nombre de dispositions insuffisantes, selon elle, pour garantir le droit à la santé et au repos des salariés. Ce fut notamment le cas, ces dernières années, de la convention collective nationale des industries chimiques, de la convention Syntec et de celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. À l’inverse, les dispositions conventionnelles négociées dans la branche de la métallurgie, dans celle du commerce et de la réparation automobile et dans le secteur de la banque ont été validées par les juges.


À noter : la branche Syntec a conclu en 2014 un nouvel accord conforme aux exigences de la Cour de cassation, ce qui n’est pas encore le cas de la branche des industries chimiques et ni celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Lorsque l’accord collectif relatif au forfait jours est invalidé par les juges, il est alors réputé n’avoir jamais existé, de même que les conventions individuelles de forfait en jours conclues avec les salariés de l’entreprise sur la base de cet accord. Aussi l’employeur peut-il être condamné à verser des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées par les salariés et à régulariser les cotisations sociales correspondantes.


Attention : l’employeur ne peut remédier aux insuffisances des accords collectifs en instituant des garanties dans une note de service ou dans le cadre d’une convention individuelle de forfait. Il doit donc, pour appliquer de nouveau le forfait jours dans l’entreprise, soit attendre qu’un autre accord de branche garantissant le respect du droit à la santé et au repos des salariés soit signé, soit négocier un accord d’entreprise.

Article du 26/06/2015 - © Copyright Les Echos Publishing - 2015